Un film sur un passé très douloureux. Oppenheimer de Christopher Nolan sort en salle au Japon vendredi 29 mars. Consacré au physicien américain Robert Oppenheimer, père de la bombe atomique, le long-métrage de 3 heures a connu un large succès dans le monde entier l’été dernier. Il a par ailleurs raflé sept statuettes lors de la dernière cérémonie des Oscars, dont celles du meilleur film et du meilleur réalisateur.
Mais au Japon, où l’arme nucléaire a dévasté les villes d’Hiroshima et Nagazaki, les 6 et 9 août en 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, tuant plus de 214 000 personnes, il a fallu attendre plus de six mois pour que le film soit projeté. Aucune raison officielle n’a été avancée, mais le distributeur nippon du film, Bitters End, a déclaré dans le magazine américain Variety qu’il avait pris cette décision “après des mois de réflexions et de discussions”. Il a souligné “la sensibilité particulière du sujet”.
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Des points de vue divergents
Début mars, le distributeur d’Oppenheimer au Japon a organisé une avant-première et une table ronde dans la ville d’Hiroshima afin d’évaluer la réaction du public avant la sortie officielle du film, relate le Asahi Shimbun. Plusieurs voix ont émis des critiques, comme l’ancien maire de la ville, Takashi Hiraoka, âgé de 96 ans. Il a notamment regretté que le film n’ait pas davantage montré “les horreurs des armes nucléaires”, cite le quotidien japonais. Il s’est interrogé sur l’absence d’images des villes dévastées après les bombardements. “Le film a été réalisé de manière à valider la conclusion selon laquelle la bombe atomique a été utilisée pour sauver la vie des Américains”, a ajouté l’ancien édile d’Hiroshima.
Une autre habitante d’Hiroshima, Kyoko Heya, interrogée par l’AFP, a également estimé que le film était “très centré sur l’Amérique” mais a toutefois souhaité “que beaucoup de gens [le] regardent” afin d’engager des discussions sur les armes atomiques. Même impression pour Yu Sato, étudiante de 22 ans à l’université d’Hiroshima. “Même s’il [Robert Oppenheimer] n’avait pas l’intention de tuer beaucoup de gens, il ne peut pas être considéré comme totalement exempt de responsabilité”, observe-t-elle auprès de l’AFP.
“Ce film montre la divergence des points de vue entre les Américains et les Japonais sur ce qu’il s’est passé en 1945, explique Yuta Yagishita, journaliste à Courrier international, à franceinfo. Il y a une différence fondamentale entre les Américains qui pensent que ces bombardements étaient nécessaires pour mettre fin à la guerre et qu’ils ont même pu sauver des vies japonaises en stoppant le conflit”, expose-t-il. Côté japonais, la mémoire de ces événements est toujours très douloureuse et reste centrale dans l’identité nationale, avec notamment toute une littérature consacrée aux victimes, les “hibakusha”, souligne Yuta Yagishita.
L’opinion publique choquée
En janvier 2023, le réalisateur Christopher Nolan avait justifié l’absence de représentation des victimes japonaises dans son film en expliquant que “s’écarter de l’expérience d’Oppenheimer trahirait les termes de la narration”, cite NBC News. Son long-métrage s’inspire d’ailleurs d’une biographie du physicien : Robert Oppenheimer : Triomphe et tragédie d’un génie, écrite par les auteurs américains Kai Bird et Martin J. Sherwin. “Il a appris les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki à la radio, comme le reste du monde, défend le cinéaste. Comme je ne cesse de le rappeler à tout le monde, ce n’est pas un documentaire. C’est une interprétation. C’est mon travail.”
L’été dernier, les sorties simultanées de Oppenheimer et du film Barbie ont également provoqué l’émoi au Japon, car elles ont engendré d’innombrables mèmes sur internet. Sous le hashtag #Barbenheimer, de nombreuses images associant la poupée à la bombe atomique ont circulé, choquant l’opinion publique. “Vous devriez visiter le parc du Mémorial de la paix à Hiroshima et apprendre ce qui s’est passé là-bas. C’est l’un des plus graves crimes contre l’humanité” ou “Nous, Japonais, n’oublierons jamais cet été-là”, ont dénoncé des internautes, en publiant des photos de vêtements d’enfants brûlés retrouvés dans les décombres des villes bombardées.