Oui, je sais. Prendre le moyen de transport le plus émetteur en gaz à effet de serre – l’avion – pour couvrir une conférence sur le climat présidée par le PDG d’une compagnie pétrolière, dans une monarchie du Golfe dont la richesse est bâtie sur la consommation sans modération d’énergies fossiles… Je vois bien l’ironie, plantée au milieu de ma démarche, telle Burj Khalifa au milieu de Dubaï. La COP28, qui s’est achevée mardi 12 décembre aux Emirats arabes unis, pose des questions clés. Comment décarboner son quotidien, dans un monde qui n’offre guère d’alternative ? Comment consommer local et éthique sans les réseaux adéquats ? Comment défendre le climat, dans un pays qui bafoue la liberté d’expression ? Comment se déplacer au royaume de la voiture ? Si le site de la COP28 – Expo City – est accessible en métro, je m’interroge en survolant les quartiers de Dubaï dans les wagons aériens impeccables de sa ligne “rouge” ou du haut des gratte-ciel qui logent les négociateurs et observateurs venus du monde entier : la ville est-elle praticable à vélo ?
Des nœuds (autoroutiers) au cerveau
Premier jour, premiers rendez-vous. Sur mon smartphone, Google Maps trace pour moi une belle ligne en pointillé qui devrait longer la mer : il suffit d’aller tout droit sur 26,5 km. L’application me propose toutefois une marche vigoureuse de plus de six heures, mais pas d’itinéraire cyclable. Pourtant, sur la petite place rectangulaire où je me trouve, des vélos en libre-service attendent, bien rangés sur leurs socles vert fluo.
A Dubaï, la compagnie de transport locale, RTA, a confié à l’entreprise Careem le développement d’une offre de vélos en libre-service. A l’instar des Velib’ parisiens, des V’Lille (lillois, donc) ou des Vélo’v lyonnais, les “Careem Bikes” permettent depuis février 2020 de circuler dans Dubaï à vélo électrique avec un abonnement à la journée (pour l’équivalent de 5 euros), au mois ou à l’année. En décembre 2022, ce service qui aurait pu avoir le bon goût de s’appeler “DuBike” revendiquait 2,8 millions de trajets, réalisés à 83% par des résidents. Les Dubaïotes avaient alors évité la dispersion dans l’atmosphère de 912 tonnes de CO2, l’équivalent des émissions de 289 voitures qui roulent pendant un an, selon le site Gulfnews.com.
Pour accompagner cet engouement naissant, la RTA développe de nouvelles infrastructures : comme ce tunnel qui évite d’avoir à traverser l’autoroute, où cette piste pour accéder… à un club de cyclisme. D’ici 2026, le réseau comptera 819 km de pistes (contre 767 à Amsterdam et 1 094 à Paris). Pour l’heure, le site de l’organisme m’apprend que, s’il existe bien des pistes cyclables sur mon trajet (les lignes bleues ci-dessous), elles ne sont pas encore connectées entre elles.
Mais le nœud du problème se trouve ailleurs. Pour gagner cette première piste cyclable qui me permettrait d’avancer d’une dizaine de kilomètres et de découvrir la ville, je dois d’abord traverser un gigantesque échangeur autoroutier.
Si mes cheveux étaient dans l’état de ce réseau, je les raserai. Pei(g)née, je marche jusqu’au métro le plus proche, afin de tenir ma promesse d’un voyage le moins carboné possible. En chemin, je constate qu’une belle piste cyclable, impeccable, vide (et non répertoriée sur mes applications) épouse la courbe d’un lac artificiel qui s’étend à ma gauche, dans le calme d’une oasis de verdure protégée des voies rapides par des tours de verre et d’acier. Je la photographie pour la postérité.
“C’est possible de circuler à vélo dans certains quartiers, notamment Umm-Suqeim, mais pas vraiment de passer d’un quartier à un autre”, m’explique Olivia Bou-Antoun. Cette entrepreneuse française installée à Dubaï depuis neuf ans me reçoit dans le marché de Noël d’une élégante boutique dédiée au bien-être. Autour d’un verre d’eau fraîche, elle résume les contraintes locales.
“Prendre son vélo pour récupérer deux ou trois courses dans son quartier comme on peut le faire dans les villes en France… Ça ne marche pas comme ça ici.”
Olivia Bou-Antoun, entrepreneuse française installée à Dubaï
à franceinfo